La Slovénie, le pays intime

Très haut, très très haut, miroitent les neiges du Triglav… « Trois têtes » en langue slave. Ces trois pics figurent sur le drapeau national : le triple point culminant slovène, 2 864 mètres au-dessus du golfe de Trieste. Si les Alpes juliennes sont l’orgueil du pays, le Karst est son socle secret, sapé par les rivières souterraines qui dissolvent et emportent en lentes épluchures les tonnes de calcaire. Le résultat est l’entrelacs de milliers de grottes. Labyrinthe comme à Postojna dont les salles résonnent sur 30 kilomètres, ou intime dans les cavernes de Škocjan, où les longues chevelures de stalactites laissent sur leurs tresses perler la rosée.

Des miniatures médiévales

Au pied des monts où patrouillent les ours blonds, la variété a élu domicile : un lac où trompettent les cygnes, des prés ondulant autour de meules minces, un vignoble piqueté de bois gris. Si le château de Celje se perche comme un aigle, celui de Predjama se blottit sous son à-pic face aux brumes de la bora, puissant vent du sud.

Tous ces décors pimpants comme ceux d’un train en jouet s’étirent telles les collines des miniatures médiévales. Oui, la Slovénie est cette « Europe en petit » dont les habitants sont si fiers qu’ils rient bien qu’on la confonde avec Slovaquie ou Slavonie. Cet éden en modèle réduit n’a pas manqué d’être disputé ; entre Autrichiens, Français, Italiens, Hongrois et Yougoslaves, bien sûr, sans que le Slovène ait eu son mot à dire. Jusqu’en 1991, quand le pays accéda à l’indépendance.

En surplomb des flots laiteux du fleuve Isonzo, vous pouvez arpenter le plus beau champ de bataille qu’on puisse fouler : Caporetto – Kobarid sur les cartes slovènes. C’est un champ de bataille montagnard, où les tranchées, taillées dans le schiste, zigzaguent entre les mousses et de chétifs épicéas. Ici, face aux Autrichiens, les cimes ont vu la tragique déroute italienne dans le froid de 1917. Dans les forts devenus musées, les chambrées glaciales exposent quelques croix des 100 000 morts de la bataille, des amas de barbelés rouillés, de semelles à clous, de boutons de capote et de pétards d’assaut. Ici les arditi se taillèrent leur réputation – ces troupes italiennes qu’on gâtait en grappa et tickets pour le bordel, afin de mieux les expédier aux points chauds tuer au poignard et à coups de grenades.

Bientôt Lipica, à la frontière du Frioul italien. Cela sent le crottin et le cuir des courroies. Dans ce haras, 400 chevaux sont en pension. Une cavalière d’élite inculque à une pouliche les figures de style de l’École espagnole de Vienne ; une tradition venue d’un officier de cavalerie français fuyant la Révolution. Ce sont les stalles de Lipica qui ont produit ces lipizzans, pur-sang-gris perle élégants et robustes, taillés pour le tournoi et la parade. Ils ont des origines andalouses, du temps où les Habsbourg tenaient la couronne du Saint Empire et celle d’Espagne.

Un rivage extirpé des griffes de Venise

Longtemps, la bande côtière italienne nous tient à l’écart de la mer. Nous arrivons enfin sur le court littoral qui offre à l’Adriatique 47 kilomètres de babines à lécher. Le slovène nomme primorska -« bord de mer »- ce rivage extirpé des griffes de Venise. Sans surprise, les gamins d’ici font italien première langue ; et sans rancune, les palais crénelés de Koper -l’ancienne Capodistria- ou le campanile d’Izola laissent leurs lions de pierre brandir l’Évangile de saint Marc. À Piran, les demeures à balcon font cortège à la statue du virtuose Guiseppe Tartini, dont les Trilles du Diable restent un défi aux violonistes confirmés.

À Bled, la Slovénie prend un tour plus slave. Aucun lieu n’est plus apaisant que le lac de Bled. Juste au-dessus de l’embarcadère, une villa mi-classique, mi Art-déco joue à cache-cache avec les hêtres. Aujourd’hui hôtel, c’était lé résidence d’été du maréchal Tito. Le dictateur était slovène par sa mère, et il a passé son enfance dans le Sud-Est.

En contrebas de la villa, clapotent des barques de bois au ton de miel. Sur le centre du lac, au faîte d’un escalier monumental, une île pointe l’aiguille de son clocher, et l’ombre joue sur l’onde à la façon d’un cadran solaire.

La traversée de Kranj nous plonge plus encore dans la subtilité slovène. La rue centrale aligne les fontaines à obélisques où flânent les adolescents en baskets, une suite de demeures colorées, trompe-l’œil baroques ou peintures murales mêlant saint Christophe à John Coltrane et Franck Zappa. Jaillie sans colère des Alpes juliennes, la rivière Ljubljanica se laisse planter de douces banderilles de peupliers d’argent.

Pages : 1 2

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.